Présence Protestante et Le Jour du Seigneur : plongée dans les coulisses de "La Visite", un documentaire réalisé dans la prison de Fleury-Mérogis
Chaque année, sur France 2, Présence Protestante et Le Jour du Seigneur mettent en valeur, à travers un documentaire d’une heure, un regard singulier et chrétien sur un fait de société. En 2024, c’est dans l’intimité de la plus grande prison d’Europe, Fleury-Mérogis que la réalisatrice Élodie Buzuel a posé ses caméras et déposé ses certitudes. Interview.
Ancienne productrice artistique à CFRT productions (Le Jour du Seigneur), Élodie Buzuel a débuté en 2006 une carrière d’autrice de films et séries documentaires. Puis elle s’est tournée vers la réalisation avec la série Lambert contre Lambert : au nom de Vincent (4x45’ - 2023) qu’elle a co-réalisée avec Vincent Trisolini pour Disney +. Son travail pour les documentaires et magazines des émissions religieuses de France 2 a, dit-elle, travaillé son regard et la question du sens, de la psychologie et de la spiritualité. Elle les questionne à présent dans ses documentaires.
Bonjour Élodie, qu’est-ce qui vous a conduit à réaliser La Visite ?
Une rencontre. Comme souvent les documentaires que je réalise naissent d’émotions et de rencontres. Pour ce film, c’est la rencontre avec le Frère Benoît, aumônier catholique depuis dix ans à la Maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. De son récit sur sa mission est né mon désir de film.
Combien de temps a duré le tournage ?
Travailler le documentaire, c’est aimer le temps long, la partie immergée de l’iceberg. Entre les premiers repérages et le début du tournage, il s’est écoulé près de sept mois. Ce temps était indispensable pour tisser la confiance, écrire et apprivoiser la façon dont chacun des aumôniers exerce, connaître les personnes détenues, mais aussi l’espace de la détention. Ensuite, j’ai fait le choix d’un tournage assez resserré sur deux mois et demi. Nous tournions deux à quatre jours par semaine. C’était un rythme assez soutenu. Au final, c’est la combinaison de cette préparation longue et de sessions de tournage régulières et plus resserrées qui ont permis que nous soyons acceptés dans les cellules des personnes détenues.
En quoi est-ce si spécial et contraignant de tourner avec des aumôniers de prison ?
Filmer en détention a impliqué de très nombreuses contraintes, notamment de temps et d’espace : Il y a des horaires rigoureux d’entrée et de sortie à respecter, de nombreuses portes à passer ; les temps pour pénétrer cet espace interdit sont longs et la régulation de la circulation fait que certains couloirs peuvent être condamnés à certains moments.
Mais ce n’étaient pas les seules difficultés. Nous avions chaque jour des "surprises" : un détenu sort finalement de détention alors que ce n’était pas prévu, ou bien il change de cellule, ou il a un rendez-vous au parloir. Les aumôniers doivent s’adapter en permanence et, comme nous les suivions, il fallait que, nous aussi, nous nous adaptions sans cesse !
Et puis il fallait aussi composer avec l’exiguïté des cellules que les détenus partagent à deux, voire à trois, sans possibilité d’intimité. Notre cadreur devait trouver très rapidement le bon axe qui allait permette de filmer sans dévoiler l’identité du ou de la détenue, mais en saisissant le lien qu’il y avait entre l’aumônier et lui.
Une autre difficulté de cet espace de la cellule, c’est que pendant le tournage, le codétenu qui, lui, n’avait pas demandé la visite de l’aumônier devait rester hors champ. "Caché", souvent sur son lit, il ou elle assistait malgré lui à la rencontre. Du coup, par discrétion, il a fallu quelques fois que nous nous rapatriions en salle d’audience. Comme l’aumônier avec le détenu, nous devions nous aussi trouver la juste distance dans le placement de nos caméras. Nous ne devions être ni trop prêt ni trop loin… Le tout dans 7m2 !
Le challenge était à la fois technique et humain. C’est uniquement grâce à cette proximité avec des aumôniers avec les personnes détenues que le film a été possible. Il faut sans doute rappeler ici que les aumôniers sont les seuls à avoir accès seul aux cellules. Même les avocats n’ont pas ce droit en France. Et ce qui se dit avec l’aumônier reste dans la cellule. Ils instaurent une bulle d’intimité, une intensité d’écoute entre eux et la personne, et cela nous aidait à nous faire oublier. C’était exceptionnel de pouvoir circuler librement dans toute la prison et d’avoir les autorisations pour rencontrer les personnes détenues dans leur cellule.
Vous avez tourné avec des détenus femmes et hommes. Avez-vous constaté des différences ?
Il y a de grandes différences entre les secteurs dédiés aux femmes et ceux dédiés aux hommes. Dans les bâtiments des hommes, on entend la violence, le bruit. Les cris sont constants, leurs cellules sont souvent dégradées, mal entretenues. La maison d’arrêt des femmes est beaucoup plus calme. Les femmes entretiennent leur espace de vie, ajoutent de la couleur, une fleur, un dessin. Il y règne une autre atmosphère. Pour autant, leurs histoires ne sont pas plus douces, beaucoup ont été victimes de violences et élèvent seules leurs enfants. Quand elles sont en détention, dans le meilleur des cas, elles doivent le ou les laisser à leur mère ou leur sœur. Beaucoup viennent d’Amérique du Sud. Elles ont servi de mules (la dernière roue du carrosse dans le trafic de drogue). Mais au final, c’est elles qui se retrouvent en prison. Elles sont parfois dénoncées par les trafiquants eux-mêmes afin de détourner l’attention des "grosses exportations". Pour ces femmes, c’est la double peine.
Mais il y avait aussi des points communs entre les femmes et les hommes que j’ai rencontrés : tous avaient des parcours cabossés, et souffraient des préjugés liés au passage en détention. D’ailleurs ils et elles disent d’eux même qu’ils sont des "déchets de la société".
Et au milieu de tout cela, malgré tout, certains ont aussi compris que ce film était l’occasion de témoigner d’autre chose, de montrer qu’un ou une détenue peut changer. Tous nous ont tous accordé leur confiance grâce aux temps pris lors des repérages, mais aussi grâce à celles et ceux avec qui nous pénétrions dans la cellule. Nous avons bénéficié de la confiance que les détenus avaient dans les aumôniers. Louis, Patricia, Benoît, Christine et Gérard exercent de longue date, eux aussi, ils ont dû gagner cette confiance. Alors ils étaient en quelques sortes à la fois nos protagonistes… et nos "laisser-passer" vers les personnes détenues comme vers le personnel pénitentiaire d’ailleurs.
Qu’avez-vous découvert dans ce voyage intérieur, dans l’univers carcéral ? Y a-t-il des choses qui vous ont surprises ?
La détresse et la souffrance m’ont sauté au visage, m’ont renvoyé inévitablement à ma vie, à mon enfance, aimée, soutenue… Rien n’excuse les actes des détenus, mais combien d’enfants maltraités se retrouvent là ? En les écoutant, on entend tous les maux de notre société : la violence, la pauvreté, l’indifférence, et on devient assurément un peu moins juge.
En prison, y a-t-il des choses à ne pas faire, ne pas dire ? Une attitude particulière à avoir ?
Ni plus, ni moins qu’à "l'extérieur". Le manque de relations humaines "ordinaires" est criant. Alors dans cet univers de privation de liberté, de cris, de promiscuité non choisie, faire preuve de cordialité comme si vous vous rendiez chez une connaissance est très appréciée.
Outre les aumôniers, avez-vous pu librement parler avec les gardiens, les détenus, l’administration ?
Oui, en off. Car même si nous avions l’accord et le soutien de la direction pénitentiaire, aucun d’entre eux n’a souhaité être filmé pour des raisons de discrétion et bien qu’ils échangent quotidiennement avec les aumôniers.
Pour les détenus avec qui vous avez-pu parler, l’enfermement fait-il sens ? La peine de prison est-elle adaptée ?
L'enfermement ne fait jamais sens, car il génère trop de souffrance. Surtout s’il est court, il est vécu comme une injustice. Paradoxalement, quand la peine est lourde, la longue privation de liberté accule la personne – elle est face à elle-même – sans autre choix que de s’enfoncer ou bien de se questionner. Bien sûr, je ne dis pas qu’il faille que les peines soient à rallonge pour des petits délits.
Ce que je veux dire, c’est que le temps long permet la rencontre (avec les aumôniers mais aussi les psychologues, les professeurs…), et il permet le travail sur soi. D’ailleurs, à bien y réfléchir, idéalement, ne devrions-nous pas tous prendre le temps, et même y être contraints, de réfléchir à nos parcours de vie ?
La réponse apportée par l’aumônerie répond-elle aux besoins des détenus ?
J’ignore comment cela se passe dans les autres pays, mais le système français d’aumônerie des prisons est certainement assez unique. J’ai pu constater combien il répond à cette soif de recherche intérieure et de spiritualité qui a déserté en partie nos vies et auxquelles on accorde, pour la plupart d’entre nous en tous cas, pas, peu, ou de moins en moins de place.
À cela, il faut ajouter que le fonctionnement de l’aumônerie est cadré. Les aumôniers ont une formation à la laïcité, et, dans ce que j’ai pu constater, ils s’abstiennent de tout prosélytisme.
Maintenant, il est clair qu’il y a un manque au niveau des ressources humaines. J’espère, et ils espèrent aussi, que ce film va donner envie de découvrir cette mission et – Pourquoi pas ? – susciter des vocations.
Et vous, qu’avez-vous retiré, personnellement, de cette immersion ?
Ce tournage m’a rendue plus à l’écoute. Il m’a donné envie de lutter contre les préjugés quotidiens. Je ne sais pas si la détention est la solution pour tout, mais la rencontre bienveillante, assurément. Elle redonne confiance, provoque le questionnement et le désir de changer.
Christophe Zimmerlin
La Visite. Un documentaire réalisé par Élodie Buzuel, produit par Zadig productions, France.tv studio et le CFRT.
Vous pouvez voir ou revoir La Visite sur France2 ou suivez Présence Protestante sur Facebook.